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La Terre Rouge des Bienveillants

14 août 2012

Le quotidien qui s’installe. L’amitié qui naît.

Le quotidien qui s’installe. L’amitié qui naît. Même l’amour, en fait. Quel délicieux parfum le matin revêt-il lorsqu’il s’habille de blanc au sortir du lit ! Je me rends en chantonnant à l’école primaire pour y faire mes deux heures de soutien scolaire du matin. Ensuite, je pars au CLIC pour aider mes terminales, fidèles au poste. Je déjeune avec Sandy, Lise et Zo. Et l’après-midi, de nouveau, après quelques animations pour les tout petits, j’anime mon atelier de révisions du bac et en parallèle, je fais des exercices de maths avec S. pour qu’il prenne de l’avance sur le programme de première scientifique. En une heure, il avait compris comment dériver n’importe quelle fonction. A la fin, son regard est tellement plein de gratitude que j’en ai les larmes aux yeux, encore, toujours. Il me donne un cours de malgache.

Caroline, une amie de Sandy, arrive en début de soirée. Mon gâteau au chocolat fait l’unanimité et je m’endors ce soir, plus sereine, plus reconnaissante que jamais.

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13 août 2012

Ce matin, je suis allée à l’EPP faire du soutien

Ce matin, je suis allée à l’EPP faire du soutien scolaire en maths pour le BEPC. Ensuite, j’ai animé au CLIC mon atelier de révisions. L’après-midi, j’ai fait à peu près la même, jusqu’à plus de 18h30. Pour rentrer à la villa, dans la nuit, nous étions trois grappes humaines, croulant sous les enfants, à la limite de ne plus pouvoir avancer. Je revois le visage de mes petits choux. Je vais aller dormir en pensant à eux.

12 août 2012

Aujourd’hui, nous sommes allés avec Zo jusqu’aux

Aujourd’hui, nous sommes allés avec Zo jusqu’aux chutes de la Lily, la rivière d’Ampefy. La balade décrit une jolie boucle de cinq heures à travers la campagne. Il n’y a pas véritablement de difficulté au niveau du relief ; c’est juste de la poussière et du soleil.

Deux grandes chutes sont à voir et les deux sont magnifiques. Je suis très sollicitée par les enfants pour acheter des souvenirs et cela me met mal à l’aise. Je compose avec ça.

Cet après-midi, Lise, une nouvelle volontaire d’ADDAM, est arrivée à la villa. Nous lui avons fait visiter les environs d’Ampefy. Lise a quarante-cinq ans et elle est ostéopathe. Elle est elle aussi dans une dynamique d’énergie très positive dont je m’imprègne tant que je peux. Je passe en mode éponge, je veux dire, davantage que d’habitude.

11 août 2012

Sous la douche ce matin, après une grasse matinée

Sous la douche ce matin, après une grasse matinée qui me mena jusqu’à près de 7h30, je fais une curieuse découverte. Le feu de la terre s’est incrusté dans la corne de mes talons et je ne peux plus l’en déloger.  Un délicieux symbole. Cette terre commence à faire partie de moi.

Nous sommes samedi mais il n’y a pas de répit pour les braves. Ce matin, nous passons des films pour les enfants du CLIC. En début d’après-midi, j’entends mon prénom au-dehors tandis que je lis dans le salon. Des fillettes sont devant les grilles de la villa et me réclament. Elles s’accrochent à moi et nous formons une large procession jusqu’à la bibliothèque. Là-bas, les plus jeunes commencent à s’habituer à ma présence et à me demander câlins et bisous. Je ne peux plus me déplacer sans avoir en permanence une main dans chacune des miennes. Je suis assaillie de toutes parts par l’amour.

Ce soir, S. est passé à la villa, j’étais très heureuse de le revoir. Sandy et Zo ayant dû s’occuper d’une urgence médicale, j’ai fait sortir S. pour qu’il n’assiste pas à ça. Assis tous deux sur les marches du perron, nous avons eu une longue discussion.

Il m’a parlé de la douleur de son peuple et des injustices. J’ai senti rouler sur mes joues toute la chaleur que cette journée avait posé sur moi, toute cette paix.

« Tu pleures à cause de moi ? 

- Non, je pleure grâce à toi.

- Tu as raison, papa disait toujours qu’il ne faut pas le contenir. »

Le sujet sensible est effleuré.

J’ai pu dire quelques phrases en malgache, les cours que je prends avec les enfants commencent à porter leurs fruits. Il continue :

« Aurélie, il faut que tu te débarrasses de la tristesse car c’est inutile. Ca gaspille de l’énergie. Je ne pense jamais que c’est injuste que j’aie perdu mon père, je pense à ce que j’ai, à mes amis, à maman. Tu devrais essayer. »

On dit que le courage n’est pas l’absence de peur mais la force de la combattre. En voyant S., je crois que je commence à mieux comprendre, ce que cela signifie vraiment.

J’ai promis de l’aider en maths. Ce gosse a un tel potentiel, je ferai n’importe quoi pour l’aider à réaliser ses rêves. Il m’a dit : « Tu augmentes mon espérance. » Même si la tournure pour une fois n’était pas parfaite, c’en fut trop pour moi et je me suis remise à pleurer.

Je l’ai pris dans mes bras avant qu’il ne parte. 

Ce soir, nous dînons chez Jacky. Chez Jacky, c’est le restaurant gastronomique d’Ampefy. Le patron, Jacky on peut le deviner aisément, est un métis.

Ici, on se croit sur une autre planète. On peut déguster un délicieux foie gras poêlé pour 8000 Ariary et un filet de zébu sauce poivre pour à peu près le même prix. C’est exquis. En dessert, je me laisse tenter par le manioc au caramel et ce soir le sourire que j’arbore vient de mes papilles qui remercient la vie. Mange, écris, aime.

10 août 2012

Frustration. Ce matin, je ne peux pas finir mon

Frustration. Ce matin, je ne peux pas finir mon cours car les élèves ont un examen blanc. Qu’à cela ne tienne, je peux continuer cet après-midi et pour ce matin, il y a toujours des petits au CLIC à faire chanter. Toutes les comptines que je connais y passent.

J’ai choisi de rester plus longtemps à Ampefy. Tant pis pour les autres sites, il y a déjà des volontaires ailleurs qui sont sûrement plus doués que moi en animation pure. Ici, il y a des besoins pour le passage de l’examen du BAC et j’ai décidé que ce serait ma bataille en ce lieu. Je vais mettre en place un atelier quotidien de révisions. C’est dans un peu plus de deux semaines. Et si ça pouvait faire la différence ?

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9 août 2012

Ce matin à Mikolo, je suis seule avec les

Ce matin à Mikolo, je suis seule avec les enfants. Les enseignants sont sûrement en train de corriger les examens de primaire. En fait, je n’en sais rien. Je ne vois presque jamais de professeurs, je ne sais jamais ce qu’ils font ni où ils sont. Alors je m’acquitte de ma tâche seule comme une grande. Avec bonheur.

J’ai cherché suffisamment de vocabulaire en malagasy sur ce thème pour me faire comprendre. Le cinéma semble les passionner car personne ne bavarde. Ils sont très attentifs et ont une excellente mémoire des anecdotes. En première partie de matinée, je les ai fait parler un peu de leur famille. Je suis très contente de ce travail.

Au CLIC, je travaille sur un article à résumer avec un élève de terminale. En fait, c’est à cela que je passe ma journée, à faire des sujets de bac avec des terminales. C’est sûrement plus utile encore, en cette période de préparation intensive, que tout ce que j’ai pu faire avant. J’essaye de les affûter en maths. Je suis dans mon élément. Je me rends compte que j’adore ça, expliquer, voir des petits yeux s’illuminer quand quelque chose d’obscur devient clair. Je vais bien dormir ce soir, pour sûr.

Le temps de préparer mon cours, je vais essayer de ne pas me coucher aussi tard qu’hier, je dois admettre que ça ne me réussit pas vraiment.

8 août 2012

Ce matin, il n’y a pas beaucoup d’enfants au

Ce matin, il n’y a pas beaucoup d’enfants au CLIC. Comme c’est bientôt le brevet et le bac, j’aide certains élèves en chimie et en maths. Quand il y a des petits, nous avançons sur le tableau du Petit Prince qui commence vraiment à être chouette. Il est déjà 13h, c’est complètement dément !

Comme chaque midi de semaine, je déjeune au restaurant à côté de la villa, chez Rado. Le poulet est exquis. Je suis toute seule à déjeuner comme la plupart du temps. Les frais de vie que j’ai payés à ADDAM servent aussi à faire vivre cette gargote et je trouve ça vraiment bien. Pour un euro cinquante le repas, ce serait dommage de se priver.

Cet après-midi, nous avons décidé de passer un film et de faire ensuite des activités autour de ce film pour aider à sa compréhension. Un dessin animé, ce serait bien.

Frère des Ours. Je ne sais pas pourquoi mais dès que j’ai vu que Zo l’avait, j’ai su que c’était ça que je voulais montrer aux enfants. Pourtant, moi-même je n’arrive pas le regarder, je pleure tout le long. En fait, je le connais si bien que je pleure par anticipation. C’est assez pathétique. J’essaye de préparer les activités après le film pour détourner mon attention des images et de la musique mais ça ne suffit pas. Je suis une véritable corde vibrante soumise à d’incontrôlables fréquences. Les mouchoirs que je vais chercher pour essuyer le tableau servent en fait à autre chose.

C’est terminé. J’ai survécu. Mais au moment de commencer mon intervention, je réalise que ce que j’ai préparé, c’est structuré, c’est utile, c’est cohérent mais c’est surtout… chiant. J’abandonne ma première idée et recopie simplement les paroles de la chanson la plus marquante du film, « Je m’en vais ». Je les fais chanter. Quinze ou vingt petites bouilles d’amour qui chantent avec moi. La corde se remet à vibrer de façon ingérable. Je crois que je suis trop sensible pour ce boulot.

Le soir dans mon lit, je prépare mes activités du lendemain au collège Mikolo jusqu’à près d’une heure du matin. Mais au moins j’aurai un solide support.

Commence à poindre en moi un sentiment diffus qui prend mora-mora de l’ampleur.

Je ne veux pas partir.

7 août 2012

Je ne suis pas une animatrice-née. Mais

Je ne suis pas une animatrice-née. Mais j’apprends. J’ai passé aujourd’hui la journée au CLIC avec Zo pour y faire des activités. Les enfants sont assez réceptifs, même si la communication n’est pas toujours facile. Si seulement je parlais malgache !

Les âges, les niveaux diffèrent et occuper en même temps très jeunes enfants et adolescents est un défi intéressant que je me plais à relever.

Après avoir fini mon support cartonné sur l’orientation dans l’espace en français, j’ai fait créer aux enfants un puzzle de Madagascar (vingt-deux pièces, vingt-deux régions) et nous avons commencé un affichage sur le Petit Prince. J’ai sélectionné le passage du renard, mon préféré.

La journée est passée à une vitesse incroyable. C’est la première que je peine autant à décrire. Parce que je l’ai simplement vécu, sans accroc. Sans découverte marquante, c’est vrai aussi, si ce n’est que je peux faire des choses très loin de mes domaines de grande aisance.

Cette journée en tout cas, a tenu ses promesses. Vivement demain !

6 août 2012

Le chant du coq. C’est toujours lui qui me

Le chant du coq. C’est toujours lui qui me réveille. Enfin, en deux fois, car il y a celui de 4h-4h30 (qui n’a pas tout compris, rapport au soleil qui se lève, tout ça… faudrait que je lui fasse un topo) et les autres vers 6h, cette fois pour la bonne cause.

Je me rends à l’école primaire publique à 8h, comme convenu, mais en fait, je vais intervenir au collège Mikolo aujourd’hui. Les enfants sont très souriants et mes progrès en malagasy, si tenté qu’on puisse les appeler ainsi, très appréciés.  J’essaye de diriger mon intervention vers l’expression personnelle mais je me heurte encore à des difficultés, des blocages importants. Rien n’est simple et le niveau de la classe, probablement cinq ans de différence entre les plus jeunes et les plus âgés, est très hétérogène. Difficile de savoir ce qui est compris pour les petits, ni quand les grands risquent de s’ennuyer. Je tente quelque chose de simple et d’interactif. J’ai préparé des supports en dessinant des animaux. Je peux les réutiliser à l’infini. Ici, je veux m’en servir pour formuler l’orientation dans l’espace. J’invite les élèves à faire de petites phrases du type : « Le papillon est au-dessus du lémurien. » ou « La tortue est à gauche de l’oiseau. » Je change les éléments de place pour vérifier que c’est compris. Je ressors Hemingway, parce que ça fait plaisir. Ensuite, je vérifie qu’ils savent dire la date. C’est tout bon. Les couleurs, c’est bon aussi. Je fais un petit topo sur la prononciation du j et du c, ce dernier selon ce qui le suit. Le son j n’existant pas en malgache, je leur fais dire « joli cheval jaune » pour qu’ils cherchent la distinction qu’ils ne font pas, et c’est bien logique, spontanément. Un petit jeu du pendu pour réviser le vocabulaire qu’on a vu. Un petit récapitulatif des parties du corps mixé à l’orientation dans l’espace pour fixer les idées. Ca fait deux heures. Je les remercie en malgache. Ils me demandent si je suis mariée. Dieu m’en préserve. Je me souviens de la réponse d’Elizabeth dans son livre et je la copie : « Pas encore. »

La semaine n’est pas propice à mes interventions à cause des examens et on me propose de revenir jeudi. Seulement jeudi ! Je rentre un peu déçue à la villa. Mais là, Zo me rassure : « Il y a le CLIC ! » Pour Centre de Lecture, d’Information et de Culture. Une bibliothèque avec des jeux et du matériel de dessin et de travaux manuels. Je peux intervenir là-bas. Dame ‘Cie a toujours besoin de monde. Chouette !

Nous y allons vers 15h. Lucie dite Dame ‘Cie, une femme charmante et impliquée, nous accueille avec bienveillance. Il y a beaucoup à faire, dit-elle. Je suis là pour ça. Des fillettes jouent à un jeu de société. Je les rejoins. Ensuite, Dame ‘Cie sort un jeu de loto avec un imagier en français. Mais il manque la plupart des pièces. Qu’à cela ne tienne, nous allons les refaire. Des garçons nous ont rejoints et nous redessinons les pièces du loto. Les enfants sont ravis. Mais ils se lassent vite. Ce sont des enfants.

Après avoir demandé à une petite de me lire son livre à voix haute, je joue avec une autre jeune fille aux échecs. Les échecs... Je ne suis pas douée, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais elle est très jeune, encore heureux que je m’en sorte à peu près. C’est fou, je n’arrive pas à anticiper plus de deux coups à l’avance, ni à rester concentrée pendant toute une partie. On dit que les gens bons en maths sont doués aux échecs. Je ne sais pas qui a pondu ça.

« Est-ce que je peux vous défier ? » Mes yeux se posent sur le visage qui me fait face. Un jeune garçon est entré. Je ne l’avais pas vu arrivé. Il a un regard immense, grand comme le monde, et son vocabulaire emprunté me désarçonne. Il ne doit pas avoir plus de quatorze ans.

« Iza ny anaranao ? »

- S. et vous ? 

- Aurélie. »

Son jeu est sûr et offensif. Nous sommes passés au tutoiement.

« Tu fais quoi dans la vie ?

- Je suis ingénieur en chimie.

- Ouah, j’adore la chimie. Tu dois être drôlement douée.

- Tu sais, en France, beaucoup de gens font de longues études, ça ne veut pas dire grand-chose. Et toi que veux-tu faire ? 

- Pilote de ligne ou footballeur ! 

- Tu aimes les sciences ? 

- Mon père était physicien, je veux être aussi intelligent que lui. »

Etait, hein. Je fais mine de ne pas relever. Il continue :

« Mais je sais qu’il y a les rêves et ce que l’on fait vraiment. 

- Oui mais il ne faut rien lâcher, tu sais ça ! »

Il a opiné du chef et s’est reconcentré sur son jeu, en fronçant les sourcils. Je ne sais pas pourquoi mais mes yeux se sont mouillés. Ce garçon pose une telle chaleur sur mon cœur, il me redonne la foi.

La partie est serrée. Je ne lâche rien. Je sais qu’il ne veut pas que je le laisse gagner. Il est grand. Il n’y a plus que nos rois et de mon côté, un pion. J’arrive à l’avancer pour obtenir une dame.

« Drapeau blanc, déclare-t-il. Une revanche ? 

- Avec grand plaisir. »

Il a pris encore davantage d’assurance, à moins que ce ne soit moi qui sois déstabilisée par cet enfant qui semble avoir tout vécu. Il vient de prendre ma dame quand ça arrive. La deuxième coupure de courant cette semaine. D’aucuns disent que c’est pour que les gens ne puissent pas voir le journal télévisé national et savoir ainsi ce qu’il se passe à Tana.

« Il n’y a jamais cela en France, n’est-ce pas ? »

Sa lucidité m’achève. La lumière ne revient pas. Nous rangeons le jeu à la faible lueur du portable de Dame ‘Cie.

« Je vais rentrer, Zo va s’inquiéter. Une pauvre petite Vazaha dans la nuit. »

- Je vais te raccompagner, moi ! »

Je prends donc congé de Dame ‘Cie d’un chaleureux « Veloma ! Tafandria mandria !» et je remonte la rue d’Ampefy flanquée de mon adorable garde rapprochée.

« Tu es en vacances en fait ? 

- Pas vraiment, je n’ai pas encore cherché un nouveau travail en fait. Je voyage en ce moment, je veux voir le monde, comprendre et aider si c’est possible. »

- Tu es trop gentille. Tu es comme une sorte d’ange. »

Non, je crois que c’est toi l’ange. Mais je ne lui dis pas. Au lieu de ça, je réponds simplement :

« Je suis ravie de te connaître.

- Moi aussi, très honoré.

- A bientôt alors !

- Oui, je l’espère. »

Je suis rentrée à la villa, j’ai dîné avec Zo, Michel et son épouse mais l’image de cet enfant ne m’a pas quitté. La lumière n’est pas revenue avant la fin du journal télévisé.

5 août 2012

« Où vas-tu ? » Une question que me posent

« Où vas-tu ? » Une question que me posent souvent les malgaches que je croise. Je trouve cette question révélatrice de cette culture car ils attendent une réponse précise, toute réponse évasive pouvant les mettre mal à l’aise. Je me plais à y voir un questionnement métaphysique. Ainsi, lorsque je réponds « Par là ! » ou encore « Jusqu’à tel endroit ! », dans mon esprit se forme la seule véritable réponse à cette question : « Je n’en sais rien mon ami. Si tu savais à quel point je n’en ai aucune idée... »

Dimanche. Comme n’importe quel autre jour, la ville s’affaire. Il n’y a que pour les enfants et les enseignants que l’opposition entre la semaine et le week-end a véritablement du sens et en prend donc pour moi aussi.

Ce matin, je me promène simplement le long de la route principale d’Ampefy. Je devrais pouvoir me trouver un joli coin près du lac. Je ne m’habitue pas à tous les détritus qui longent le bas-côté. Le plastique, rose, bleu, jaune, s’émiette, se disperse mais ne se dégrade pas. Mille ans ! La théorie se mue ici en tragédie quotidienne.

Les visages s’éclairent au « Manao ahona ». On m’appelle parfois par mon prénom, des gens que je ne connais même pas. Je suis adoptée. « Tu parles malagasy ? » « Tsia, juste quelques mots. » J’ai bien l’intention de pouvoir échanger avec les petits avant la fin de mon séjour mais les premiers pas sont laborieux. La prononciation, l’absence totale de repère de vocabulaire, la structure de la phrase, les multiples préfixes qui rendent même complexe la tâche élémentaire de chercher dans le dictionnaire. Exemple, selon le temps du verbe, on mettra au début m- pour le présent, n- pour le passé et h- pour le futur. Même chose pour les adjectifs d’état car le verbe être n’existe pas vraiment, du moins il est omis la plupart du temps. Il faut donc connaître les préfixes pour les ôter aux mots dont on recherche le sens.

Je me suis calée près de la route, au bord du lac. Il y a très peu de passage ici. Surtout des vélos et quelques taxis-brousse. Les voitures individuelles sont rares. L’enfer de l’autostoppeur. Les pirogues sont déjà nombreuses à pêcher. Les pêcheurs, souvent deux par embarcation, frappent la surface de l’eau de leur rame. Le poisson ainsi effrayé se précipite dans le filet qu’il ne reste plus qu’à relever.

La surpêche est une réalité quotidienne ici. Devant ce miraculeux éden, les habitants ne se préoccupent pas de la gestion durable de leur bien. Compréhensible lorsque l’on sait que le lac est la seule source d’eau, pour la lessive, le bain, la consommation mais aussi l’irrigation. L’érosion et la pollution menace une ressource dont les habitants ont besoin chaque jour de façon élémentaire.

Le poisson pêché néanmoins ne profite pas à tout le monde. Cinq cents kilos sont envoyés chaque jour à Tana. Lorsque l’on sait que cette ville compte dix millions d’habitants, on comprend bien que seuls quelques restaurants et les gens aisés de la capitale peuvent agrémenter leur riz de ce met délicat. 8000 Ariary le kilo, soit 2,80 euros, c’est environ le prix de deux jours de travail pour la plupart des gens, qui ont déjà la chance d’en avoir un. Dans ce contexte, comment faire comprendre à un malgache qu’en France, on peut être à la rue avec dix fois plus que le salaire moyen ici, que tous les Vazahas ne sont pas des tiroirs caisses illimités ? Etre blanc, c’est avoir tatoué USD sur son front. Même le bic que j’ai en main prend des allures de trésor ; c’est un signe extérieur de richesse.

Tous ces chiffres donnent le vertige et je cesse un moment de compter pour me laisser envahir par la quiétude des lieux. Mora-mora sur la terre rouge des bienveillants. Avoir la peau blanche ici, c’est surtout pouvoir aller où bon me semble et j’ai bien l’intention d’honorer cette chance sans ostentation.

*

Le combat de coqs est une distraction très répandue dans les zones rurales. Les affrontements sont le prétexte de paris et d’enjeux divers, dépassant souvent, malheureusement, les moyens des joueurs dont chaque Ariary pourtant compte. Sur la place derrière la mairie, une foule de plusieurs centaines de personnes s’est massée autour d’une arène d’environ quatre mètres sur cinq. Il n’y a pas de Vazahas ici. A y regarder deux fois, il n’y a pas de femmes non plus. Normal alors que l’on me dévisage ainsi. Avant l’arrivée des combattants, l’arbitre humidifie le sol afin de limiter le nuage de poussière provoqué par les volatils.

Les coqs, entrainés à se montrer agressifs les uns envers les autres, sont présentés face à face. Les plumes de leur cou se hérissent, s’inversant presque pour former un carcan. Toutes serres en avant, les oiseaux se jettent alternativement l’un sur l’autre. Fusent les coups de bec cherchant à atteindre l’autre à l’œil, à la crête, au cou. Ce que je croyais être violent et sanglant est en fait surtout incroyablement… long. Car en effet, les coqs se fatiguent très rapidement et n’ont pas naturellement la propension à se combattre à mort. Chaque propriétaire soigne donc son champion, lui donnant de l’eau, crachant sur ses blessures, en arrosant ses pattes pour le rafraîchir, afin de mettre toutes les chances de son côté et d’avoir l’adversaire à l’usure.

Cependant, au bout d’une heure et demie de combat, les adversaires aux têtes ensanglantées sont déclarés à égalité.

Cet après-midi, Zo m’a proposé une balade en pirogue. L’embarcation est large d’un mètre environ et profonde. De nombreux enfants nous accompagnent ; l’un d’eux a même apporté son cerf-volant. Nous pagayons chacun notre tour et faisons une jolie boucle d’une heure environ sur le lac. Le vent qui se lève crée sur le chemin de larges tornades de poussière qui meurent presqu’aussitôt. C’est la première fois de ma vie que je vois une telle chose.

Déposés sur l’autre berge, nous devons emprunter pour rentrer un pont endommagé par un cyclone, il y a quelques années, mais ce qu’il en reste permet encore de traverser facilement grâce à l’ajout d’un tronc d’arbre sur lequel on peut marcher en équilibre.

Ainsi se termine mon premier week-end à Ampefy et j’ai l’impression d’avoir vécu le réconfort avant l’effort. Mais je compte bien donner le meilleur dès demain.

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