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La Terre Rouge des Bienveillants

4 août 2012

Aujourd’hui, nous sommes samedi et Zo m’a proposé

Aujourd’hui, nous sommes samedi et Zo m’a proposé de m’emmener à l’Îlot de la Vierge, une colline verdoyante qui avance dans le lac. Un sentier touristique, le chemin des treize villages, existe qui se contente de suivre la côte mais Zo veut me guider sur une piste qui monte sur la crête et donne une vue panoramique sur le lac.

8h. Nous devons d’abord passer au marché pour faire quelques emplettes pour la semaine. Le marché d’Ampefy se situe à deux pas de la maison. Sur des étals délabrés ou sur un simple drap, les commerçants vendent les fruits de leur labeur. Des légumes et plus rarement de la viande et du poisson. Tout ce qui ne sert plus et peut être revendu est présenté : des pièces détachées d’un peu tout et des emballages vides (cartons, bouteilles, flacons, boîtes de conserve…) Les légumes sont pesés sur des balances de Roberval qui semblent avoir cinquante ans, voire davantage. C’est ici, au cœur de cet espace d’échange où les transactions ne dépassent que rarement 2000 Ariary, que l’on prend toute la mesure du dénuement extrême de la population. Je suis Zo dans les dédales étroits, assaillis de regards curieux et interrogateurs.

A l’issue de ces brèves courses, nous nous mettons en route. La piste monte vers la colline en pente douce jusqu’au sommet d’où l’on aperçoit rizières et étendues d’eau de l’autre côté. Le lac a un peu la forme d’un boomerang, deux langues coudées, et l’on n’en voit pour le moment que la moitié. Mais le panorama est déjà saisissant. Les couleurs surtout : le feu de la terre, les palmiers verdoyants, le lac clair, presque blanc.

Nous sommes en vue de l’îlot et désormais l’on peut observer le lac sur plus de cent quatre-vingt degrés. La descente, un peu plus raide que la montée, nous mène jusqu’à la côte où nous rejoignons le sentier des treize villages. A force d’entendre des salutations en malagasy, je demande à Zo ce qu’elles signifient et la prononciation correcte. « Manao ahoana ». Ce n’est pas seulement un bonjour, on demande à la personne comment elle va. On répond souvent par un « Salama ». Les visages s’illuminent à la prononciation maladroite de ces quelques mots. Parfois un « Salut Vazaha ! » semble provenir d’une maison à cinquante ou cent mètres de là. La peau blanche ne passe pas inaperçue ici. Et avec de l’indice cinquante, je n’accélère pas franchement ma fonte dans le paysage.

Des enfants sur la plage demandent que je les prenne en photo. Je suis gênée à chaque fois de sortir ce truc énorme. Pas que j’ai peur qu’on me le vole, les gens sont par trop bienveillants, mais c’est totalement indécent. Je m’exécute néanmoins et immortalise quelques jolis portraits.

La suite de notre périple nous amène au sommet de l’Îlot de la Vierge. Un promontoire et (évidemment) une statue de Marie. Un gardien, des sœurs. C’est un lieu de recueillement, de pèlerinage. Ici, nous avons un des plus beaux panorama de la balade. Le retour est différent puisque mon cher guide a choisi une boucle. Nous passons au milieu des rizières. Le riz est semé puis les pousses sont repiquées en rang bien espacés pour donner la place à la plante de mûrir ses fruits. Sans cela, rien ne se passe. Le fastidieux et éreintant travail de repique est celui des femmes. Cela engendre, les thérapeutes qui m’accueillent ne le savent que trop bien, de graves problèmes de dos et des blocages de rein. Nous rentrons déjeuner à la villa où Michel nous a préparé un délicieux repas.

L’après-midi s’annonce calme et j’en profite pour préparer les cours de lundi. Fatigue du corps. Clarté de l’esprit. C’est peut-être cela, à la place de la simple attente de septembre, toute cette confusion dans ma tête dissipée par ce voyage, après les TAAF, les Etats-Unis et la Mongolie, qui conclue une sorte de « Mange, prie, aime » sur mesure. Pour moi, ce sera « Mange, écris, aime » car le mystique est déjà inclus dans le troisième impératif. Tout n’est pas résolu mais je sens dans mes veines affluer une nouvelle force.

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3 août 2012

Non, je ne sais pas faire. Je dois me rendre à

Non, je ne sais pas faire. Je dois me rendre à l’évidence devant ma détresse à cet instant. Malgré tout, j’essaye de garder une contenance, ce qui est crucial dans ce genre de cas. Les élèves sont très dissipés et de toute évidence, ils ne comprennent que des bribes de ce que j’essaye d’exprimer.

Mes yeux parcourent la classe à la recherche d’un support, d’une idée lumineuse mais rien ne survient et je parviens laborieusement à occuper l’heure qui m’est impartie par une suite décousue d’interventions. Je demande conseil à la directrice dans l’entreclasse mais tout ce qu’elle me propose, je l’ai déjà essayé en vain. « Pour la deuxième heure, Célestin vous assistera pour traduire. Je suis désolée car cela est sensé être toujours le cas. » Je ne rechigne clairement pas sur de l’aide. Je m’en trouve soulagée.

Miraculeusement, en présence de leur instituteur, les enfants du deuxième groupe sont beaucoup plus calmes. A moins que ce ne soit moi qui parle plus lentement, plus distinctement et avec davantage d’assurance. Néanmoins, le constat reste entier. Le niveau de français de cette classe est faible. Ils comprennent peu, ont appris par cœur des choses qu’ils ne savent pas réutiliser, même dans un contexte simple. Il y a un gros blocage concernant la formation de phrases complètes. Illumination : à force d’essayer en vain de faire décrire une image d’un poster du WWF au fond de la classe, je me souviens que j’ai dans mon sac l’exemplaire de « Le vieil homme et la mer » que m’a offert Caroline. Je demande à ce bon vieux Hemingway de me venir en aide. L’image sur la couverture est simple et les mots familiers. Un bateau, un poisson, une voile, une personne, la mer. La prononciation accroche et la tournure est approximative mais chacun fait une phrase pour décrire l’image. Célestin me confirme quand ils comprennent et traduit dans le cas contraire. Je crois qu’ils ont cessé de s’ennuyer. Je dois garder leur attention jusqu’à la fin. Je leur lis le premier paragraphe à haute voix deux fois. Puis un élève le lit. Et ensemble, nous identifions les mots connus, les mêmes que ceux de l’image. C’est gagné, nous avons même dépassé l’heure. Et moi, j’ai dépassé ma peur.

Il n’est que 10h30 et la classe normale reprend. Après une brève entrevue avec la directrice, je parcoure la rue principale d’Ampefy en attendant le déjeuner. J’aimerais faire tellement de photos mais est-ce une bonne idée d’exhiber mon 500D quand ces gens n’ont pour certains même pas de quoi s’acheter des chaussures ? Je ne pense pas. Rien que les Gore Tex que j’ai aux pieds valent six mois de salaire. Je devrais les enlever d’ailleurs. « Combien pour ces tongs ? » 3000 Ariary ? Je devrais négocier dans l’idée mais je n’en ai pas le cœur. Je paye la somme exorbitante de 1 euros 10, probablement deux ou trois fois le prix normal pour ici et je passe en mode pieds blancs. Je me pose près du petit restau où je dois manger ce midi, pour écrire.

Ici les gens n’ont rien et ils chantent. Les passants reprennent les airs a capella qui s’échappent des échoppes. Il est midi et c’est le pic d’activité de la ville. Les enfants rentrent de l’école. Cinquante ou soixante sourires m’assaillent. « Aurélie ! » Ils ont même retenu mon prénom bizarre. Vazaha du cœur, hein ? En tout cas, le mien déborde littéralement à cet instant.

Je dois quand même garder à l’esprit une chose : je dois trouver des supports pédagogiques. Je suis douze jours ici et Ernest n’y suffira pas, je le crains. Chance ! Gilles au déjeuner m’a justement apporté des revues et un protocole à compléter. Je vais pouvoir trouver un cadre et confirmer la validité de ce que, intuitivement, j’avais commencé : évaluer le niveau, travailler avec du vocabulaire simple et essayer, et c’est l’essentiel mais aussi le plus compliqué, de les faire s’exprimer individuellement.

Cet après-midi, il n’y a pas cours à cause d’une cérémonie funéraire dans le village. J’ai donc endossé mon sac à dos et j’ai entrepris de prendre un peu de hauteur pour me caler de l’autre côté du lac. La lumière est idéale et la vue imprenable sur la colline rouge qui domine Ampefy. Mes yeux se mouillent de bonheur et de paix. Je crois que je pourrais rester éternellement ici sur ce caillou, à contempler les pirogues et les rizières sous le jour qui vacille. Mais je vais rentrer quand même. Zo risque de s’inquiéter.

2 août 2012

5h30. Un liseré jaunâtre se dessine déjà sur

5h30. Un liseré jaunâtre se dessine déjà sur l’horizon lorsque j’ouvre le volet. La lumière naissante s’entremêle à la cime des palmiers de chez Emile. Les coqs nous confirment qu’il est temps de s’activer. Pourtant, à l’heure où nous devons partir, on nous apporte tout juste le petit déjeuner. Mora-mora, c’est la devise malgache, « doucement, doucement ».

La gare routière de Tana est en effervescence. Tous les matins ici, des dizaines de taxi-brousse partent pour les quatre coins de l’île-continent. La circulation est si dense déjà à cette heure que le taxi se faufile à grand peine au milieu des charrettes, piétons et voitures en tout sens. De nombreux camelots nous abordent : chocolat, batteries de téléphone, « RayBan » chinoises à 2000 Ariary, le Vazaha (l’étranger, le blanc) est le cœur de cible.

Dispatcher les volontaires de l’association ADDAM et veiller à leur sécurité, c’est le travail d’Emile qui prend cela très à cœur. Ainsi, avant de trouver nos propres bus respectifs, nous attendons que le taxi-brousse d’Hélène parte vers Majunga. Cette opération prend quelques temps, une bonne partie de la matinée. Car les taxis-brousse ne partent que lorsqu’ils sont pleins (une notion toute malgache que je développerai plus tard). Nous attendons donc dans le taxi.

Nos taxis-brousse, à Corinne et à moi-même, ne partent pas d’ici. En effet, Tana comporte en fait trois gares routières. Et pour rejoindre la nôtre, nous devons emprunter le centre-ville et la célèbre rue de l’Indépendance, rue sur laquelle se trouvent le palais du gouverneur et la place du 13 mai. Ce passage nous permet d’avoir par nos hôtes un petit résumé de la situation politique du pays.

Depuis quatre ans, Madagascar ne possède pas vraiment de gouvernement. La chute du précédent président a laissé l’île dans une grave crise tant économique que politique. En plus de destituer le président, les opposants ont également détruit son usine, une manufacture de produits laitiers bon marché qui employaient des milliers de malgaches. A présent que le taux de chômage est à son paroxysme, que règnent désordre et corruption, le pays est au bord de la rupture. Ou pas ! Car l’idée n’enchante personne, dans un pays répressif à la culture si délicieusement relativisante, de s’élever contre le régime. Et dure la transition.

Ca y est, je suis dans mon taxi-brousse. Un peu serrée, mais ça le fait. Je remercie chaleureusement Emile pour son accueil. Me voilà partie pour Ampefy et son lac. Dans la brume poussiéreuse jaunie par le soleil encore bas, des centaines de femmes font leur lessive dans le fleuve. Je suis surprise sur le trajet par la qualité des routes plus que correctes. A côté des pistes des steppes mongoles, les voies de cette partie de l’île font office d’autoroutes.

Quelque chose d’étrange néanmoins se produit. En seulement trois heures, nous sommes arrêtés par la police pas moins de onze fois. L’étudiante à ma gauche me répond timidement que c’est parce que beaucoup de gens roulent sans assurance. J’ai du mal à la croire. A raison, puisqu’on m’expliquera plus tard qu’il s’agit de contrôles destinés à prélever des bakchichs sur les voitures transportant des passagers payants. Un accord entre les deux parties qui permet par ailleurs à notre conducteur de taxi-brousse de voyager avec seize personnes quand il n’y a que douze places. Et si mon corps n’est plus qu’un immense fourmillement, j’ai du mal à imaginer l’abnégation dont doit faire preuve le jeune homme qui est accroupi entre la porte et le siège, et aussi ma voisine de droite. C’est difficile à expliquer, car en même temps il me fait face, et il a son genou planté dans ma cuisse. This is Africa.

Nous arrivons. La vieille dame à ma droite dont les enfants travaillent à Paris me désigne le lac. Je pense que j’ai dû rester bouche bée quelques secondes. C’est vraiment splendide !

Zo m’accueille à la descente du taxi et me guide vers la maison coloniale de l’autre côté de la rue principale du village. Les propriétaires, deux Vazahas thérapeutes qui pratiquent ici gratuitement une médecine naturelle, sont en vacances et ont confié la maison à l’association pour y loger ses volontaires. Une masse grise et ronronnante nommée Sid paresse sur ce qui sera mon lit. Je suis la deuxième à venir ici, après Hélène. Ici à Ampefy, les Vazahas sont appréciés car la plupart sont des « Vazahas du cœur » m’explique Zo. « Mais toi on ne sait pas encore. » Et il éclate d’un rire franc et ouvert que je rejoins.

Après avoir déjeuné à deux pas de la maison, je rencontre Gilles qui a mis en place la mission ici et m’explique mon travail à Ampefy : je serai chargée de donner des cours de français dans une école primaire et un collège du village. A l’issue de cette brève entrevue, je déballe quelques affaires pour m’installer. Ici la douche est chaude, un luxe que je sais désormais apprécier à sa juste valeur.

La maison jouit d’une situation incroyable, avec une vue sur le lac. Quelques pirogues naviguent sous les rayons déjà déclinants. Il est 18h et la température en effet fait vite oublier que nous sommes en hiver.

Je suis sereine ce soir comme si je n’avais plus peur d’être en ma seule et propre compagnie. Cette ambiance, sous la lune pleine, dégage une forte et ronde plénitude. Toutefois, devant la nouveauté de la tâche qui m’est assignée, je sens sourdre en moi une pointe d’angoisse. Comment suis-je au juste sensée donner des cours de français à de petits malagasy de façon à la sérieuse et ludique ? Dans la théorie, j’ai bien une idée, mais la pratique…

J‘y suis. A moi d’agir à présent. Et si c’était précisément cela que j’étais venue chercher ici, de me prendre moi-même à contrepied, pour une fois. « Surprends-moi » me demandé-je à moi-même. Je n’ai toujours fait jusque là que ce que je savais faire. Ecrire. Aimer. Chanter. « Ingénieurer ». Vivre. Mais ça, enseigner à des enfants malgaches l’accord du participe passé, je sais faire ?

1 août 2012

Tananarive. Ses rues bordées d’étals de

Tananarive.

Ses rues bordées d’étals de commerçants, son trafic qui soulève des volutes de terre ocre et sa misère au sourire franc. Cet endroit a beaucoup plus de cachet qu’annoncé. Pourtant, je vais le quitter dès demain matin pour Ampefy, un village de brousse situé près d’un lac à trois heures d’ici afin de commencer ma mission.

Pour l’instant néanmoins, l’heure est à la découverte. Je ne me ménage pas en ce moment et c’est donc encore chamboulée par le décalage horaire de mon retour de Chine que j’atterris dans ce monde fascinant, cet univers parallèle et déroutant où se côtoient pauvreté extrême et indécente corruption, joyaux naturels et décharges sauvages. 24°C au cœur de l’hiver. Bienvenue à Madagascar !

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